Il y a quelques mois, j'ai été contactée à propos de
Tim et le Sans-Nom par Soizic Grasset, étudiante à l'université de Montpellier III. Elle souhaitait connaître les coulisses de la création de l'album et mon opinion sur le rapport du peintre à l'enfance (et réciproquement), dans le cadre de son
Mémoire de Master 1,
Mention Histoire de l’art.
Paul Klee et l'enfance, l'enfance et Paul Klee :
De l'influence du dessin d'enfant sur Paul Klee à l'utilisation pédagogique de son oeuvre aujourd'hui"
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Le Jardin aux Oiseaux, P.Klee, 1924 Aquarelle sur détrempe brune sur papier journal |
J'ai répondu avec grand plaisir à ses questions (voir ci-dessous) et je viens d'apprendre que son Mémoire a été validé avec les
félicitations du Jury. Bravo à elle <3
Elle a accepté de me l'envoyer, il ne me reste plus qu'à me plonger dedans (99 pages + 52 pages d'annexes ^^) : je vais probablement découvrir beaucoup de choses sur ce peintre qui me fascine.
Entretien :
Soizic Grasset : J'ai pu voir que votre livre Tim et le Sans-Nom fait partie d'une
collection d'ouvrages qui ont la même ambition (j'imagine) qui est celle de
présenter un artiste aux enfants.
Qui a fait le choix de travailler sur Paul Klee ? Les éditions vous ont-elles imposé
cet artiste ou est- un choix personnel ?
Nancy Guilbert : Oui, c’est moi qui ai fait le choix de travailler sur cet artiste.
J’ai toujours trouvé que les tableaux de Paul Klee avaient une double lecture et que
son art pouvait être accessible aux enfants.
Les enseignants peuvent facilement s’inspirer de certaines de ses oeuvres pour faire
travailler les enfants lors des séances d’Arts plastiques ou d’arts visuels.
Mon éditrice a trouvé l’idée intéressante, elle était curieuse de voir la manière dont
j’allais utiliser ces toiles parfois assez abstraites pour raconter une histoire.
SG :Comment avez vous travaillé pour la création de ce livre ? Connaissiez- vous
déjà Klee ?
NG : Oui, bien sûr, je connaissais déjà Paul Klee depuis longtemps.
J’ai fait beaucoup de recherches pour trouver d’autres oeuvres , pas forcément toujours
connues du grand public et j’ai découvert des tableaux dont j’ignorais l’existence (je
pense à la Machine à gazouiller par exemple).
La difficulté dans cette collection d’Art-fiction est de réussir à localiser les oeuvres, à
obtenir les droits de reproduction et enfin à les recevoir avec une qualité suffisante
pour une reproduction correcte. Il faut parfois renoncer à certains tableaux
malheureusement pour les raisons citées juste précédemment.
SG :Le livre raconte une histoire avec pour décors des tableaux de Klee.
J'imagine donc que le point de départ du livre, est l’observation des oeuvres.
NG :Oui, tout à fait, mais pas seulement.
J’ai d’abord lu avec minutie la biographie de Paul Klee pour essayer d’apporter des
éléments de son réel dans mon histoire.
Il y avait surtout trois choses qui m’ont frappée :
- Le rapport de Klee avec la couleur et sa révélation artistique à Kairouan (d’où
le nom du prince)
- Le rapport de Klee à l’enfance et aux chats (d’où le rôle de Tim et du chat)
- Le rapport de Klee avec la montée de l’antisémitisme, des rumeurs puisque son
oeuvre a été qualifiée d’art « dégénéré » pendant la période nazie (d’où le
thème de l’album : les préjugés).
L’histoire de ce prince (le Sans-Nom) rejeté à cause d’une rumeur s’est imposée à moi
très vite. J’ai alors sélectionné les oeuvres en fonction des décors et des séquences de
l’histoire.
SG :Klee vous semble t-il être un « bon » artiste à utiliser avec les enfants ? Et
pourquoi ?
Comme je l’écrivais plus haut, ses oeuvres sont de bons supports pour éveiller les
enfants à l’art, à la composition, au travail des couleurs, aux formes géométriques.
Au-delà de l’aspect purement esthétique, Klee raconte une histoire dans chaque
tableau et je pense qu’il y a alors une deuxième lecture à faire avec les enfants.
SG : Paul Klee à beaucoup été influencé par l'enfance et l'art des enfants. Pensez
vous que cette influence , qui se ressent sur certaines oeuvres, puisse être un des
éléments qui plaisent aux enfants dans l’oeuvre de Klee ?
Autrement dit, peut-on imaginer que Klee est beaucoup utilisé avec les enfants
parce qu'il s'est justement inspiré d'art enfantin ?
NG : C’est en tout cas mon point de vue.
Il y a quelque chose de très stylisé qui accroche l’oeil des enfants, mais aussi de
poétique et d’onirique qui parle à leur imaginaire.
A première vue, les toiles paraissent simples mais elles résultent de toute une
combinaison de formes et de couleurs que je trouve magique.
Klee avait été initié à l’art dès l’enfance par sa grand-mère et en a probablement gardé
une influence. Il disait de ses propres dessins d’enfants qu’ils étaient « fantaisistes et
illustratifs » et s’en est probablement inspiré par la suite, ce qui confère à ses oeuvres
ce charme parfois naïf de l’enfance, ces couleurs vives, ces formes à la fois simples et
savamment imbriquées qu’affectionnent les enfants.
SG : Qu'est ce qui vous plaît dans les oeuvres de Klee ? Que pensez vous qui plaise
aux enfants ?
NG : Le côté poétique, comme je vous l’écrivais ci-dessus.
Lorsque je regarde un tableau de Klee, mon imagination s’emballe car ses toiles
racontent des histoires. Il ne reste plus qu’à tendre l’oreille et à les écouter…
Je crois (j’espère) que les enfants ont encore cette chance de pouvoir rêver et de laisser
s’envoler leur imaginaire : les oeuvres de Klee y sont propices.
SG : À cette étape de ma recherche j'ai déjà réuni un certain nombre de livre
pour enfants « sur » Paul Klee, des livres qui utilisent son oeuvre comme décors
(comme Tim et le Sans-Nom), des livres de coloriage, des livres d'histoire de l'art
pour les jeunes publics.
Il en existe en français, en anglais, en allemand.. Votre livre n'est donc pas un cas
à part.
Comment expliquez vous cet engouement des auteurs de littérature Jeunesse pour
Klee ?
NG :Je ne sais pas vraiment, je ne voudrais pas faire de généralités. Je n’avais pas fait
de recherches sur d’autres albums autour de Klee, je ne connaissais que le travail de la
collection « Pont des arts » qui a une approche différente, puisque les illustrations ne
sont pas les vrais tableaux de l’artiste.
Lorsque mon éditrice m’a demandé à quel auteur je pensais pour mon deuxième
ouvrage de cette collection, je lui ai spontanément répondu « Klee » car après Chagall,
c’est un artiste qui m’inspire beaucoup.
Klee dégage quelque chose d’enfantin, de « simple » à partir duquel les auteurs se
sentent peut-être plus à l’aise, mais il y a d’autres peintres qui inspirent aussi les
auteurs, comme Monet, Renoir, Matisse, Picasso…
SG :Et plus généralement pour l'art ?
NB :Je ne sais pas, les auteurs jeunesse ne travaillent pas forcément que sur l’art,
certains ne sont pas du tout inspirés par ce créneau. Personnellement, c’est quelque
chose qui me fait très envie !
Les éditeurs, eux, ont probablement envie de transmettre, d’ouvrir les enfants à autre
chose qu’aux illustrations traditionnelles, de leur faire découvrir de grands noms de la
peinture classique.
SG : Pourquoi utilise t-on l'art avec les enfants d'après vous ? Et pensez vous que
l'enfant est nécessairement besoin d'une oeuvre déjà existante, d'un grand
artiste ? Y a t-il une volonté d'instruire les enfants, leurs donnant les premiers
éléments de leurs culture artistique ?
NG :Non, je crois que l’enfant ne se rend pas compte au départ que le peintre est
connu. C’est lorsque l’auteur/l’éditeur/l’enseignant/ le parent le lui explique qu’il
commence à le réaliser, mais cela ne lui parle pas vraiment.
Je crois tout de même qu’il réalise inconsciemment que ces oeuvres représentent
quelque chose, qu’elles sont différentes de ce qu’il voit habituellement dans les
albums, qu’elles appartiennent à un « patrimoine ».
J’ai également remarqué lors de mes interventions, que lorsque certains enseignants
travaillent régulièrement sur des oeuvres d’arts, les enfants y sont de plus en plus
sensibles : ils reconnaissent alors plus facilement les peintres, leurs oeuvres, et en font
d’ailleurs une autre lecture, beaucoup plus subtile, car on leur a appris à le faire.
C’est-à-dire qu’ils dépassent la simple notion subjective du « c’est pas beau, j’aime
pas », pour essayer de comprendre et d’analyser l’oeuvre.
Oui, effectivement, certains auteurs /éditeurs /enseignants/parents ont la volonté
d’éveiller le sens artistique chez les enfants, tout en leur proposant une approche plus
ludique, comme dans cette collection « art-fiction » de Léon, art and stories.
Le fait de raconter une histoire qui prend les oeuvres d’un peintre comme support leur
donne du sens.
SG : J'aime beaucoup l'idée de faire, à la fin du livre,une partie « explicative »
sur l'artiste. Avec un jeu de question réponse qui est d'autant plus intéressant
d'un point de vue pédagogique.
D'autres auteurs de livres jeunesse sur Klee utilisent le même procédé. Vous
semble t-il important, après l'histoire et les belles images de faire cette petite
partie informative pour les enfants ?
NG :Je ne me suis pas vraiment posé la question car cela faisait partie de la charte
éditoriale de la collection, mais oui, effectivement, c’est important de donner ces
explications en plus, elles donnent du sens à l’histoire, elles apportent quelque chose
de plus concret, et pas seulement aux enfants, comme j’ai pu le constater pendant mes
interventions et ateliers.
Les adultes aussi sont touchés par la façon dont j’ai relié la vie de Paul Klee à
l’histoire de Tim.
SG : Quand on rédige ce type de petits textes, on se doit d'être bref. Comment
avez vous choisi ce que vous vouliez dire sur Klee ? Avez vous eu l'impression de
simplifier afin de faire comprendre à des petits ?
Est ce que vous pensez qu'il est difficile de parler d'art aux enfants de façon
simple, compréhensible et juste ?
NG : J’ai pris le temps de choisir ce que je voulais dire, comme si je devais résumer en
quelques lignes l’essence du travail et de la vie de Paul Klee. C’était difficile, il y avait
tant de choses intéressantes à écrire !
Oui, il a fallu simplifier mais ne pas « bêtifier », d’où la complexité du travail.
J’ai d’abord sélectionné 8 axes de réflexion, l’éditrice a ensuite apporté sa relecture en
me demandant de corriger/simplifier/transformer certaines phrases ou certaines pistes
de réflexion.
SG :Pensez vous que l'on peux parler de « vulgarisation » de l’oeuvre de Klee ?
NG : Je n’aime pas trop ce terme car dans l’album, les oeuvres sont reproduites à
l’identique, on ne cherche pas à les simplifier, à les représenter autrement ou à les
édulcorer pour les rendre plus « attirantes ».
Mais si « vulgarisation » signifie « rendre accessible au plus grand nombre », alors
oui, effectivement.
SG : Dans la même collection, j'ai constaté que vous aviez travaillé également sur
le livre Azulie dans a Nuit inspiré d’oeuvre de Chagall. Malheureusement je n'ai
en ma possession que l'ouvrage Tim , vous pourriez tout de même me parler un
petit peu de celui-ci ?
NG :Le texte d’Azulie dans la Nuit avait été écrit il y a longtemps, sans qu’il ait eu au
départ de relation avec les oeuvres de Chagall.
Lorsque l’éditrice m’a demandé sur quel peintre je voulais travailler, j’ai tout de suite
pensé à Chagall, puis à ce texte. Après avoir lu attentivement la biographie de Chagall
et observé d’oeuvres de lui, que je ne connaissais pas, je me suis rendue compte avec
émotion que le texte y correspondait parfaitement, à quelques scènes près, qu’il a fallu
réécrire.
Les axes d’écriture étaient :
- le rapport aux rêves, à la poésie, à l’onirisme et à la musique
- le cauchemar de la guerre (Chagall a été exilé pendant la montée de
l’antisémitisme, puisqu’il était juif et artiste)
- La présence de la couleur bleue (d’où le prénom Azulie)
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Tim à Beaubourg, Musée Pompidou, Paris Photo Grégoire Vallancien |
C'est toujours émouvant de suivre le chemin de nos albums
, merci à Soizic d'avoir choisi Tim et le Sans-Nom pour son Mémoire et belle continuation !
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Annexes du Mémoire de Soizic |